18 Juin 2018
Issue de la fusion entre l’Alsace, Champagne-Ardenne et la Lorraine, la région Grand Est est une construction administrative totalement artificielle. A la vacuité de son nom, elle accole un logo d’une affligeante nullité.
Qu’est que le Grand Est ? Une grande région fourre-tout à l’est de la France, fusionnée de force par des technocrates parisiens au mépris des identités champenoises, ardennaises, lorraines et alsaciennes. Après le casse-tête du nom, qui a abouti au choix le plus consensuel à défaut d’être expressif, la région s’est dotée d’un logo – pour autant qu’on puisse qualifier ainsi le machin en question.
Enseigne de supermarché
« La nouvelle identité visuelle de la région a été pensée et réalisée en interne », tient à préciser le Conseil Régional sur son site internet. Ne surtout pas dépenser un sou pour définir l’identité des nouvelles régions, telle était l’essentiel pour de nombreux élus, tétanisés à l’idée de devoir se faire reprocher le gaspillage des fonds publics par les médias et leurs administrés au café du commerce. Peu importe la qualité, autant laisser un stagiaire de la direction de la communication faire le job.
Le résultat est à l’avenant. Aucun élément graphique, de grosses lettres grasses sur un cartouche bleu : l’ensemble ressemble à une enseigne de supermarché. J’ai pensé à Leclerc, de fins observateurs ont noté une proximité avec l’enseigne Shopi.
Mission impossible: unifier sans unifier tout en unifiant
Seule originalité, les trois branches du E détachées, qui, selon le Conseil Régional, « symbolisent l’union des trois entités dont est constituée la nouvelle grande région ». Donc, séparer visuellement trois éléments normalement joints exprime l’union. Il faudra qu’on m’explique… Histoire de bien en rajouter avec les gros sabots, le nom Grand Est est souligné de trois traits de couleur rappelant les couleurs des logos des trois anciennes régions ainsi que de leur noms complets : Alsace Champagne-Ardenne Lorraine. Tout cela fait beaucoup de texte à lire. Mais surtout, ce logo exprime toute la schizophrénie du donneur d’ordre : normalement, l’objectif d’une identité visuelle et d’un nouveau logo est de donner une identité claire et forte. Mais là, l’objectif semble avoir été le contraire : « surtout, faites en sorte que les anciennes régions restent bien présentes pour que surtout la nouvelle ne s’impose surtout pas dans les esprits ! » Du grand n’importe quoi.
Reconnaissons que donner une identité à cette méga-fusion régionale relevait de la gageure. Mais on aurait quand même pu essayer de trouver une symbolique qui unisse les trois territoires. Par exemple une grappe de raisin en référence au champagne, au vin de Moselle et au riesling alsacien. Ou tant qu’à se limiter à la pure logique géographique, utiliser peut-être le symbole de la rose des vents…
Les mérites du blason
Une autre option aurait été de se pencher sur le patrimoine héraldique des trois régions, comme l’a fait Sticker-Blason.com. Notre partenaire, qui propose des blasons autocollants pour plaques d’immatriculation, s’est trouvé fort dépourvu lorsque les nouvelles régions furent venues. En particulier le Grand Est, pour lequel aucun blason historique préexistant ne pouvait être utilisé. La nature ayant horreur du vide, Sticker-Blason a créé un blason qui combine les armes des trois régions fusionnées. Celles-ci s’y prêtent relativement bien car elles ont toutes les trois un point commun fort : une bande diagonale sur un fond uni. Le choix d’une partition en pairle renversé met en valeur ce point commun et le parallélisme des bandes.
La description héraldique de ce blason est la suivante :
« Tiercé en pairle renversé : au 1) de gueules à la bande d’argent côtoyée de deux cotices fleuronnées du même accompagnées de six couronnes d’or ordonnées en orle trois en chef et trois renversées en pointe ; en 2) d’or à la bande de gueules chargée de trois alérions d’argent ; en 3) d’Azur à la bande d’argent, côtoyée de deux double-cotices potencées et contre-potencées d’or ».
On pourra objecter que ce blason, en juxtaposant les armoiries des trois régions d’origine, ne fait guère mieux que le logo et maintient le souvenir de ces trois régions sans les unifier. C’est en partie vrai, mais tout l’intérêt des blasons est que justement, leur partition permet de combiner différents éléments héraldiques pour créer un nouvel objet visuel qui a son unité. C’est d’ailleurs toute la symbolique des blasons historiques, qui au fil des siècles ont combiné les armes de différentes familles et leurs duchés, comtés etc. au gré des mariages, des conquêtes et des guerres. Le blason se prête parfaitement à l’exercice délicat qui consiste à créer une identité visuelle pour un territoire composite sans nier ou oublier ses parties constitutives. Il est d’autant plus incompréhensible que la quasi-totalité des élus locaux français s’obstinent à surtout ne jamais y recourir – soit parce qu’ils trouvent cela vieillot, soit par idéologie républicaine déplacée, le blason étant un symbole de l’ancien régime.
Bref, même s’il n’est pas parfait, ce blason du Grand Est me semble mille fois mieux que le lamentable logo bricolé par les fonctionnaires du Conseil Régional dans le seul but de ne froisser personne.